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Festival Cinémas du Sud : 22ème édition

L’Egypte s’offre un bain de jouvence

« Souad » de la cinéaste Ayten Amin ouvre le bal des festivités de cette 22e édition du festival Cinémas du Sud. Un portait poignant de cette jeunesse égyptienne en quête d’identité et de liberté.

Adeptes des selfies, experte dans l’art de cumuler les « likes » sur Instagram, Souad, 19 ans, est obsédée par son image sur les réseaux sociaux. Très vite, la jeune égyptienne débute une double vie, jonglant entre la dure réalité des traditions familiales et ses relations amoureuses virtuelles. Jusqu’ à ce qu’un évènement tragique vienne bousculer son quotidien. Avec habileté et conviction, la cinéaste Ayten Amin dresse un portrait émouvant de la jeunesse égyptienne, coincée entre tradition et modernité.

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© Visuel tiré du film Souad d'Ayten Amin

De la Place Tahrir à la Génération Instagram

Après avoir marqué tous les esprits avec le documentaire « Tahrir 2011: The Good, the Bad and the Politician » consacré à la Révolution menée sur la célèbre place Tahrir, Ayten Amin signe avec « Souad », une ode à la jeunesse égyptienne.  Avec une précision chirurgicale et un sens inouï de l’esthétisme, la cinéaste plonge le spectateur dans les méandres de ce refuge virtuel que sont les réseaux sociaux pour cette génération 2.0 en quête d’identité. Ancré dans une réalité égyptienne, le film touche cependant à l’universel en nous interrogeant sur la place prépondérante du numérique dans nos vies. Que l’on vienne d’un petit village du delta du Nil, des pentes de la Croix-Rousse ou bien de Paris, les adolescents rêvent d’être aimés et mesurent désormais leur pouvoir de séduction en nombre de « likes » sur les réseaux. Et l’héroïne de Souad n’échappe pas à la règle.

Souad : remarquée à Cannes, chouchoute à Tribeca

Et même si Ayten Amin a fait le choix de la fiction pour son troisième long-métrage, c’est aussi pour mieux aborder la difficulté d’être une jeune femme en Egypte : « C’est un pays où dès que vous sortez de votre appartement, vous êtes obligés de changer de personnage, surtout si vous êtes une femme, en tant que femme en Égypte, vous êtes obligée d’adopter une autre personne pour vous protéger... pour être en sécurité. Ce que je voulais faire, c’est raconter une histoire sur les femmes réelles ayant de vrais problèmes. Des filles normales qui ressemblent et parlent comme nous ». Pari réussi pour cette cinéaste prometteuse : « Souad » a déjà tapé dans l’œil de nombreux festivaliers. Sélectionné au festival de Cannes 2020, à la Berlinale 2021, le petit bijou égyptien a déjà plusieurs récompenses dont le Prix de la meilleure actrice dans un film étranger au festival du film international de Tribeca 2021. Une distinction décernée au tandem Bassant Ahmed/Basmala Elghaiesh, rôles principaux de Souad. Ça vaut bien tous les « likes » du monde !

Laura Lépine 

L’Automne des Pommiers

« Je suis ton père » : la trilogie version marocaine

Avec « L’Automne des pommiers », le réalisateur-scénariste marocain Mohamed Mouftakir boucle en beauté sa trilogie consacrée au rôle du père. Une œuvre émouvante et poétique signée par ce cinéaste au sens aigu de l’esthétisme.

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© Visuel tiré du film L'Automne des pommiers de Mohamed Mouftakir

A l’ombre du pommier de sa maison, le jeune Slimane s’interroge : qu’est-il arrivé à sa mère, disparue mystérieusement lorsqu’il avait un an ? Pourquoi son père le méprise ? Difficile pour le petit garçon de trouver sa place et de grandir lorsque les fondations familiales sont aussi fragiles. Persuadé que Slimane est le fruit d’une relation incestueuse, le père passe tour à tour de l’ignorance au mépris. Face à ce mur d’indifférence, le jeune marocain décide d’enquêter sur ses origines et de savoir ce qui s’est réellement passé avant sa naissance. Un parcours semé d’embûches pour ce petit garçon en quête d’identité et d’amour.

« Pégase », l’étalon d’un cinéaste en or

Troisième long-métrage du cinéaste marocain Mohamed Mouftakir, « L’Automne des pommiers » constitue le dernier volet d’une trilogie axée sur le rôle du père. Après le père castrateur de « Pégase » (2011) et le père protecteur « L’Orchestre des aveugles » (2015), le réalisateur abat cette fois les cartes d’un père méprisant, rejetant en bloc le lien de parenté. Une partition de choix pour clore en beauté cette trilogie née sous les meilleurs auspices. Son « Pégase » avait raflé la mise au Festival national du film marocain Tanger : Grand Prix, Prix de la critique, Prix spéciale du jury, meilleur rôle féminin, Prix de la musique originale, Prix du meilleur son et de la meilleure image. Suivie par de nombreuses récompenses au festival international du film de Dubaï, au Festival du cinéma méditerranéen d'Alexandrie  ainsi qu’au Festival du cinéma Africain de Khouribga. Et pour « Pégase », remporter l’Etalon d'or de Yennega au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou était une évidence ! Un premier long-métrage couronné de succès et qui marque les débuts fracassants d’un cinéaste sur lequel il faudra compter.

La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre

 Onze ans après l’échappée belle de son « Pégase », Mohamed Mouftakir offre au public un récit poignant autour de la thématique du père, qui lui est chère. Et quel meilleur symbole que l’arbre du pommier pour évoquer la quête d’identité du petit Slimane, dont les racines semblent incertaines : « La pomme nous parle à nous tous. Elle est riche en symboles. Ce fruit a accompagné l’histoire de l’humanité depuis ses tout débuts. C’est un fruit mythique, lié à notre chute, à notre sortie du confort, du paradis. Un fruit lié à la tentation, au désir et surtout au savoir. Un fruit interdit et désiré à la fois. J’aime ce côté contradictoire que représente la pomme dans l’inconscient de chacun de nous. En fait, j’aime tout ce qui est contradictoire, je le sens vivant, dynamique et vrai ». « L’Automne des pommiers » offre à Mohamed Mouftakir la plus belle des saisons pour clore sa trilogie sur le père.

Laura Lépine 

Héliopolis

1.2.3 soleils, une Histoire algérienne

Le festival Cinémas du Sud consacre cette année un focus au 7e art algérien avec trois longs métrages à l’affiche. Premier de cordée, « Héliopolis » marque le premier passage derrière la caméra du producteur Djaffar Gacem, figure incontournable du paysage audiovisuel algérien. Un récit puissant inspiré de faits historiques survenus en Algérie dans les années 1940.

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© Visuel tiré du film Héliopolis de  Djaffar Gacemr

Producteur et réalisateur de nombreux Sitcoms populaires tels que « Djemai Family » et
« Bouzid Days », Djaffar Gacem fait une entrée fracassante dans la cour des cinéastes algériens. Il fallait de l’audace voire de la témérité pour choisir comme toile de fond de son premier long-métrage les massacres survenus à Sétif, Guelma et Kherrata le 8 Mai 1945. Inspiré de ces faits réels, « Héliopolis » marque les débuts prometteurs du producteur-réalisateur de télévision. Une œuvre titanesque dont l’idée a germé dans la tête de son créateur il y a près de dix ans :  entre l’écriture du scénario qui a duré près de quatre ans, la préparation du film, les repérages et le tournage, il aura fallu plusieurs années pour que ce projet fleuve, initié en 2012, voit le jour. Le tournage, bouclé en 2018, a eu lieu dans l’ouest du pays : « Nous voulions tourner à Guelma, malheureusement il ne reste plus d’endroits authentiques par rapport à l’ère coloniale. Nous avons donc longé l’Algérie d’est en ouest là où il reste encore un peu d’architecture coloniale. Malgré cela, notre équipe de décoration a travaillé d’arrache-pied sur les décors naturels afin de les améliorer et les agencer comme il faut […] Nous avons dû faire un énorme travail de repérages, de reconstitution architecturale et de restauration des bâtisses », confie Djaffar Gacem.

Un projet fleuve né il y a dix ans

Producteur et réalisateur de nombreux Sitcoms populaires tels que « Djemai Family » et
« Bouzid Days », Djaffar Gacem fait une entrée fracassante dans la cour des cinéastes algériens. Il fallait de l’audace voire de la témérité pour choisir comme toile de fond de son premier long-métrage les massacres survenus à Sétif, Guelma et Kherrata le 8 Mai 1945. Inspiré de ces faits réels, « Héliopolis » marque les débuts prometteurs du producteur-réalisateur de télévision. Une œuvre titanesque dont l’idée a germé dans la tête de son créateur il y a près de dix ans :  entre l’écriture du scénario qui a duré près de quatre ans, la préparation du film, les repérages et le tournage, il aura fallu plusieurs années pour que ce projet fleuve, initié en 2012, voit le jour. Le tournage, bouclé en 2018, a eu lieu dans l’ouest du pays : « Nous voulions tourner à Guelma, malheureusement il ne reste plus d’endroits authentiques par rapport à l’ère coloniale. Nous avons donc longé l’Algérie d’est en ouest là où il reste encore un peu d’architecture coloniale. Malgré cela, notre équipe de décoration a travaillé d’arrache-pied sur les décors naturels afin de les améliorer et les agencer comme il faut […] Nous avons dû faire un énorme travail de repérages, de reconstitution architecturale et de restauration des bâtisses », confie Djaffar Gacem.

Héliopolis dans la course aux Oscars 2022

Dans son écriture, comme au casting de son film, Djaffar Gacem met un point d’honneur à réunir l’Algérie et la France. Avec un souci permanent de vérité : « c’est un film sur une situation donnée. Je ne pouvais pas m’étaler et ne montrer que les massacres, ce n’est pas ce que je voulais raconter. J’ai fait mon possible pour équilibrer les situations en restant dans un contexte linéaire où l’histoire est racontée afin que le spectateur n’oublie pas l’intrigue et l’essentiel du film ».  Avec « Héliopolis », Djaffar Gacem signe une œuvre aussi puissante que lumineuse. Représentant de l’Algérie dans la course aux nominations aux Oscars dans la catégorie du film international, « Héliopolis » n’a pas fini de briller !

Laura Lépine 

Farha

La Palestine verrouillée de l’intérieure

Premier long-métrage de la cinéaste jordanienne Darin J.Sallam, « Farha » raconte l’exil et la quête de liberté à travers les yeux d’une adolescente. Un récit captivant d’une maîtrise stupéfiante qui marque les premiers pas d’une réalisatrice sur laquelle il faudra compter à l’avenir.

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© Visuel tiré du film Farha de Darin J. Sallam

Farha, 14 ans, ne rêve que d’une seule chose : pouvoir aller à l’école afin de devenir enseignante. Dans les rues de son village palestinien, l’adolescente imagine déjà son futur cartable et ses carnets de notes. Mais les espoirs de Farha vont être anéantis par la dure réalité de son époque. Nous sommes en 1948, année qui marque le début de la nakba, l’exode de la population palestinienne, conséquence de la guerre civile qui éclata un an plus tôt. Pour la protéger d’une attaque militaire, le père de Fahra la cache dans un garde-manger et promet de revenir la libérer. Terrée dans ce petit espace, l’adolescente parvient à scruter l’extérieur à travers un filet de lumière. Les bombes atteignent bientôt son village. Témoin impuissante de la guerre, Fahra doit rester à l’affût du moindre bruit pour survivre.

En maintenant une tension permanente, la cinéaste jordanienne Darin J.Sallam nous plonge dans l’horreur de la guerre à travers les yeux de « Fahra ». Un huis clos à couper le souffle qui s’appuie sur deux éléments : le son et la lumière. Ce n’est qu’à travers les perceptions de la jeune fille que le spectateur, peut se faire une idée de ce qu’il se passe à l’extérieur du garde-manger dans lequel l’adolescente s’est réfugiée. Autour des questions de l’identité et de l’exil, Darin J.Sallam signe un premier long-métrage poignant et d’une maîtrise inouïe.

« Farha » s’inspire de faits réels

Et si la cinéaste qui a fait ses classes à la Red Sea Institute for Cinematic Arts (RSICA) à Aqaba a choisi de raconter l’histoire de Fahra, ce n’est pas un hasard. Ce récit sur l’exil, le passage à l’âge adulte et la survie, est inspiré de faits réels : « Raddiyeh, une jeune fille palestinienne a été enfermée par son père pour protéger sa vie et l’honneur de sa famille lors des événements catastrophiques d’Al-Nakba en Palestine en 1948. Elle s’est finalement rendue en Syrie, où elle a rencontré une fille avec qui elle a partagé son histoire. Cette fille a grandi, a fondé une famille et a partagé cette histoire avec sa fille. Cette fille, c’est moi », confie la réalisatrice. Pendant des années, le destin de Raddiyeh obsède Darin J. Sallam : « l’expérience de cette jeune fille a touché une corde sensible en moi, et « Farha » a commencé à émerger. Elle est restée dans mon esprit et j’ai continué à penser à ce qu’elle devait ressentir dans cette petite pièce sombre, d’autant plus que j’ai la même peur des endroits sombres et étroits. Un sentiment d’étouffement m’envahissait chaque fois que je me souvenais d’elle. L’envie de partager son voyage n’a cessé de grandir en moi, formant progressivement l’histoire de Farha. ».

 Avec à son actif, cinq courts métrages dont « Still Alive » (2010), « The Dark Outside » (2012) et « The Parrot » (2016), qui ont tous reçu de nombreux prix dans des festivals internationaux, Darin J.Sallam confirme tous les espoirs placés en elle avec « Farha ».  Le premier long-métrage sélectionné au prestigieux Festival du Film international de Toronto (TIFF) a déjà récolté trois Prix au 6e Festival International du Film féminin d’Assouan. Nul doute que Darin J.Sallam n’a pas fini de collectionner les récompenses !

Laura Lépine 

Rêve

Algérie : j’irai au bout de mes rêves

Le comédien algérien Omar Belkacemi présentera aux festivaliers son premier long-métrage intitulé « Rêve ». Une véritable ode à la différence inspirée du vécu du réalisateur.

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© Visuel tiré du fil Rêve d'Omar Belkacemi 

Dans son village kabyle de haute montagne, Koukou, 20 ans, est souvent montré du doigt. Son comportement et son look détonnent dans le paysage de cette bourgade algérienne. Un jour, le comité des sages de son village et son père décident de faire interner le jeune homme dans un hôpital psychiatrique. Dès qu’il apprend la nouvelle, Mahmoud, le frère de Koukou, rentre de Béjaïa pour tenter de sauver son cadet.

Une histoire vraie

« I have a dream ». La célèbre formule prononcée par Martin Luther King, Jr lors de son discours contre la ségrégation raciale pourrait aussi être le titre du premier long-métrage d’Omar Belkacemi. Car comme le célèbre pasteur, le cinéaste algérien rêve d’union et de liberté dans une société qui cherche sans cesse à cloisonner, rejetant ceux qui ne font pas partie de la « norme ». Bien décidé à casser ces codes, l’acteur devenu réalisateur se livre sans fard dans « Rêve ». Une ode à la différence qui s’inspire du vécu de son auteur : « Ce film parle du désir d'être soi-même, d'accepter la différence, de la difficulté de réaliser ses rêves et de s'accomplir dans une société dictée par la morale et le regard inquisiteur de l'Autre qui traite de « malade » quiconque ne ressemblant pas aux autres […] C'est une histoire vraie. Je raconte ce que j'ai vécu. Koukou représente un peu mon enfance et Mahmoud, c'est le regard adulte sur moi aujourd’hui. Je n'ai triché à aucun moment. Ce sont des scènes vécues, vues. Je tenais vraiment à revoir ces situations vécues en tant qu'adolescent ». Rêveur et idéaliste, Koukou est un peu le double d’Omar Belkacemi adolescent.

« Rêve » primé aux Journées Cinématographiques de Carthage

 Le jeune comédien formé au Théâtre régional de Bejaïa, a décidé de passer derrière la caméra, comme pour continuer de défier l’ordre établi. Et aussi peut-être pour rendre justice à l’adolescent un peu marginal qu’il était. Avec pudeur et finesse, le cinéaste algérien pose sa caméra sur les regards pour mieux sonder les esprits : « J’aime les lenteurs dans les films, j’aime aussi la poésie, j’aime voir les regards et j’aime les silences, je comprends des choses beaucoup plus dans les silences que dans des conversations ». Après avoir reçu le Tanit de bronze aux Journées Cinématographiques de Carthage pour son moyen métrage Lmuja (2015), Omar Belkacemi réalise son « Rêve », déjà salué au festival Cinémed 2021. Le film a été couronné du Prix de la critique aux Journées Cinématographiques de Carthage. L’adolescent rêveur devenu cinéaste a de quoi garder la tête dans les étoiles encore longtemps !

Laura Lépine 

Costa Brava, Lebanon

Une famille libanaise au bord de l'implosion

Premier long-métrage de la cinéaste libanaise Mounia AKL, Costa Brava, Lebanon sera présenté en avant-première au Festival cinémas du Sud. Le film aborde les problèmes environnementaux et les tensions au cœur d’une famille fuyant le malaise social de Beyrouth. Une œuvre aussi puissante que lumineuse, dans laquelle figure au casting l’excellente Nadine Labaki, réalisatrice de Capharnaüm.

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© Visuel tiré du film Costa Brava Lebanon de Mounia Akl

Dans leur chalet de montagne, les membres de la famille Badri se pensaient à l’abri de la pollution et des troubles sociaux qui gangrènent Beyrouth. Baigné de lumière, le refuge est un petit coin de paradis pour la petite tribu libanaise. Mais la tranquillité va être de courte durée pour les Badri. Les tractopelles et camions bennes prennent leur quartier en face de leur havre de paix. Une décharge est aménagée sous leurs yeux. Peu à peu, la crise environnementale qu’elle fuyait va faire naître des tensions dans le cercle familial autrefois paisible. L’équilibre des Badri semble menacé par les déchets qui les entourent. Dès lors, le clan fait face à un dilemme de taille : résister ou fuir à nouveau.

Pollution et crise sociale empoisonnent Beyrouth

Six ans après « Submarine », court-métrage consacré à sur la crise des déchets au Liban et à la corruption qui la sous-tend, la cinéaste Mounia AKL confirme tous les espoirs placés en elle avec « Costa Brava, Lebanon » son premier long-métrage. Si le petit « Submarine » avait déjà tapé dans l’œil des spectateurs au Festival de Cannes 2016 (Cinéfondation) et au Festival du film international de Toronto (TIFF), son grand frère est aussi promu à un bel avenir. Lauréat du Prix du Public au festival du film de Londres (BFI, pour les intimes) et du Reflet d’or au festival du film de Genève, « Costa Brava, Lebanon » met en scène une famille libanaise sous tension depuis qu’elle a fui la pollution et les crises sociales qui empoisonnent Beyrouth. Des thématiques chères à Mounia AKL : « le film parle de la complexité de cette relation amour/haine qui devient de plus en plus compliquée à mesure que notre pays
s’effondre
».

Un film comme un acte de résistance

Et si « Costa Brava, Lebanon » impressionne par sa puissance, c’est aussi lié au contexte dans lequel cette œuvre est née. Le film a en effet failli ne pas voir le jour. Le 4 août 2020, deux gigantesques explosions frappent le quartier du port de Beyrouth, faisant des centaines de morts et des milliers de blessés.

La scénariste réalisatrice Mounia AKL était alors dans les locaux de la société de production Abbout pour préparer le tournage de son film. Tout le bureau de l’entreprise fut soufflé. « En un instant, toute notre perception de la vie a basculé. Qui a survécu ? Qui a été blessé ? Il était loin dans notre esprit, le temps de créer un film » confie Mounia AKL. Un mois plus tard, les producteurs et la cinéaste du film se remettent à la tâche : « C’était un acte de résistance. Car si nous n’allions pas continuer notre travail et raconter nos histoires, c’est qu’“ils” auraient tout pris de nous », raconte la réalisatrice.

Un tournage salvateur pour Mounia AKL et son équipe : « ce moment de créativité et de communication a donné à beaucoup d’entre nous la force de nous soutenir et de nous porter les uns les autres ». Sélectionné dans de nombreux festivals internationaux, « Costa Brava, Lebanon » a obtenu la Mention spéciale de la Fondation Fai Persona Lavoro Ambiente, à la prestigieuse Mostra de Venise. Brava Mounia AKL !

Laura Lépine 

Notre fleuve…Notre ciel

Chronique d’un quartier irakien

Monteuse et réalisatrice de films documentaires sur le Moyen-Orient, la cinéaste anglo-irakienne Maysoon Pachachi passe avec brio à la fiction avec « Notre Fleuve…Notre ciel ». Un récit puissant inspirés de faits réels sur le quotidien des habitants de Bagdad pendant le couvre-feu mis en place après le double attentat survenu le 22 février 2006 contre le sanctuaire chiite d’Askari à Samarra.

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© Visuel tiré du film Notre fleuve...notre ciel de Maysoon Pachachi

Entre les violences quotidiennes et le couvre-feu nocturne, les habitants d’un quartier de Bagdad tentent de conserver un semblant de vie normale. Les histoires de Sara, une romancière et de ses voisins s’entremêlent. Comment parvenir à rester unis et à ne pas laisser la violence extérieure les envahir lorsqu’on est quotidiennement emprisonnés dans sa propre maison ?

Quand la réalité dépasse la fiction

Auteure de plusieurs documentaires sur le Moyen-Orient, la réalisatrice anglo-irakienne Maysoon Pachachi passe pour la première fois à la fiction dans « Notre Fleuve…Notre ciel ». Un récit qui se nourrit du réel puisque ce premier long-métrage s’appuie sur le quotidien des irakiens lors des événements de 2006 marquant le début de la guerre civile en Irak. Un couvre-feu exceptionnel est alors mis en place à Bagdad et dans les provinces voisines après le double attentat contre le sanctuaire chiite d’Askari, à Samarra, qui a déclenché des représailles contre des dizaines de mosquées sunnites. C’est dans ce contexte d’une violence extrême que « Notre Fleuve…Notre ciel » prend sa source : « Il y avait cette violence terrible et barbare qui se déroulait, des couvre-feux tous les soirs, et dans une telle situation, vous êtes très conscient de vivre votre propre histoire dans le contexte de celle de tout le monde. Vous avez l’impression de faire partie d’une expérience collective », dit-elle.

Montrer la résistance des Irakiens

Nourri par des faits réels, le premier long-métrage de fiction de Maysoon Pachachi est aussi pour la réalisatrice l’occasion de montrer la résistance des gens face aux violences extérieures :

« Ceux qui n’ont pas vécu tout cela ne les voient que comme des victimes. Ils ne voient pas qu’une sorte de chaleur se perpétue entre les gens, qu’ils se soucient toujours les uns des autres. C’est une voie de survie, de résistance. De dire : « Vous ne nous séparerez pas. Malgré tout, nous resterons une famille », dit-elle.

 En 2006, la cinéaste irakienne était loin d’imaginer que le terme de couvre-feu allait aussi devenir si familier pour le reste du globe, pandémie oblige. « Notre Fleuve…Notre ciel » témoigne aussi de l’impact de cet enfermement sur ces habitants. Un fait qui ne doit rien au hasard, puisque la co-scénariste du film, Irada Al-Jubori, tout comme le personnage de Sara, la romancière interprétée par Darina Al Joundi, ne pffouvait soudainement plus écrire. Avant que des scènes du quotidien, des dialogues entendus dans la rue, viennent lui redonner le goût à l’écriture. Et l’avenir à donner raison au duo Maysoon Pachachi/Irada Al-Jubori : par l’authenticité et la puissance de son récit, « Notre Fleuve…Notre ciel » a déjà séduit la Mostra de Venise et le Festival du film de Sarajevo. Un long-métrage qui emporte tout sur son passage !

Laura Lépine 

Streams

La descente aux enfers d’une famille tunisienne

Le réalisateur-producteur Mehdi Hmili signe avec « Streams » un film percutant sur les dérives de la société tunisienne. Un récit sans concession qui célèbre aussi le courage des femmes de son pays.

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© Visuel tiré du film Streams de Mehdi Hmili

Amel travaille d’arrache-pied dans une usine pour subvenir aux besoins de sa famille. Son fils, Moumen est un gardien de but promis à un bel avenir dans le football. La matriarche ne peut compter sur le soutien de son mari, Tahar, ancienne gloire du ballon rond devenu alcoolique. L’équilibre déjà fragilisé de cette famille tunisienne va se briser lorsqu’Amel est condamnée à tort pour une affaire d’adultère. A sa sortie de prison, elle plonge dans les bas-fonds de Tunis à la recherche de son fils disparu. Amel est alors confrontée à tous les maux d’une société tunisienne en pleine crise.

La Tunisie post-Révolution arabe en pleine crise

Cinq ans après l’inoubliable « Thala mon amour », le réalisateur tunisien Mehdi Hmili revient sur le devant de la scène mondiale avec un film coup de poing dénonçant les dérives de la société tunisienne.  Avec « Streams », le cinéaste-producteur signe une satire percutante sur la Tunisie, post #Metoo et Révolution arabe : « Notre société est malade et la religion y joue un grand rôle. La police est utilisée pour protéger ce système pourri. Après la Révolution, nous espérions vraiment construire une nouvelle société. Avant cela, la police était corrompue, mais par la suite, avec toute l’instabilité politique et les gouvernements en constante évolution, elle est devenue incontrôlable en s’associant à des gangs de trafiquants de drogue et à la pègre criminelle », confie-t-il. Armé de sa caméra, Mehdi Hmili plonge le spectateur dans les méandres d’une société victime de ses contradictions, coincée entre tradition et modernité.

« Je devais ce film à ma mère »

Sans détour, le réalisateur articule son récit autour de trois thématiques qui lui sont chères : la famille, la violence et l’amour. « Streams » montre la descente aux enfers d’une famille, en écho à l’effondrement de la société tunisienne, « victime d’autodestruction » selon Mehdi Hmili.

Corruption de la police, violences sexuelles, drogue : le réalisateur aborde sans concession toutes les dérives qui gangrènent la Tunisie. Une plongée abyssale racontée à travers les yeux d’Amel et de et de son fils. Un choix de narration primordial pour Mehdi Hmili :

« J’ai consciemment choisi de raconter l’histoire du point de vue de la mère et du fils, car elle est basée sur mon expérience familiale personnelle. Je devais ce film à ma mère, car elle m’a vraiment sauvé de la folie que vous pouvez voir à l’écran en m’apprenant à ne pas abandonner et à toujours me battre. L’intrigue traite de nombreux sujets de la réalité tunisienne contemporaine, mais la chose la plus importante pour moi était de montrer une femme qui obtient une seconde chance plus tard dans la vie ».

 « Streams » est en effet, une déclaration d’amour aux femmes tunisiennes, un petit bijou qui a déjà récolté tous les suffrages dans les festivals internationaux. Son « Amel », interprétée par l’actrice tunisienne Afef Ben Mahmoud a reçu le Prix d’interprétation féminine au Festival international du Film du Caire 2021. Le début d’une longue série de récompenses pour Mehdi Hmili, c’est certain.

Laura Lépine 

Chronique des années de braise

Une Histoire algérienne, Palme d’Or à Cannes

Parmi les rendez-vous à ne pas manquer lors du 22e Festival Cinémas du Sud, la projection de la copie restaurée du film « Chronique des années de braise » réalisé par Mohammed Lakhdar-Hamina. Une fresque historique qui a décroché la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1975. Il est à ce jour le seul film algérien à avoir obtenu cette récompense. Attention, coup de cœur !

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@ Visuel tiré du film Chronique des années braise de Mohammed Lakhdar-Hamina

Des prémices de la Seconde Guerre mondiale à la genèse de la guerre d'indépendance, l’Algérie a eu plusieurs vies. Ce sont ces multiples facettes que la « Chroniques des années de braise » met en scène. Fresque historique articulée en six volets, cette œuvre majeure du réalisateur Mohammed Lakhdar-Hamina raconte le long parcours du peuple algérien vers l’indépendance. Le récit débute en 1939 et s’achève le 11 novembre 1954, date qui marque le déclenchement de la Révolution algérienne, aussi appelée guerre d’indépendance. Quatrième long-métrage du cinéaste algérien, « Chroniques des années de braise » n’a pas la prétention de raconter toute l’Histoire de l’Algérie, mais démontre comment la date du 11 novembre 1954 ne doit rien au hasard.

Les prémices de la guerre d’indépendance

A travers des repères historiques, Mohammed Lakhdar-Hamina montre comment ce jour symbolique constitue l’aboutissement d’un long périple entrepris par le peuple algérien :

« Avec ce film, j'avais eu envie d'expliquer pour la première fois comment est arrivée la guerre d'Algérie. Cette révolte, qui est devenue la révolution algérienne, est non seulement contre le colonisateur, mais aussi contre la condition de l'homme. Mon film n'est qu'une vision personnelle même s'il prend appui sur des faits précis ».

Pour illustrer son propos, le cinéaste a construit son récit autour de quatre périodes de l’Histoire algérienne : les années de cendres, marquées par la sécheresse causant l’abandon de la terre par les paysans ; l’année de la charrette : couvrant la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences sur le pays ;  les années de braise qui signent la fin de la guerre et la flambée de conscience politique contre le colonisateur ; et enfin l’année de la charge : témoigne des élections de 1947 et des prémices de la guerre d’indépendance.

L’Algérie, Palme d’or 1975

Un portrait de l’Algérie en plusieurs actes qui a valu à Mohammed Lakhdar-Hamina la Palme d’or au Festival de Cannes en 1975. Le seul film algérien à avoir décroché le précieux sésame. Une récompense qui a fait connaître les œuvres du cinéaste algérien dans le monde entier. L’ancien élève du lycée Carnot de Cannes, était loin d’imaginer qu’il foulerait le tapis rouge de la Croisette quelques années plus tard. Une ville à qu’il doit sa passion pour le 7e art. Au lycée cannois, Mohammed Lakhdar-Hamina partage son pupitre avec le fils d’un directeur de la photo : le jeune algérien se prend alors d’intérêt pour le cinéma.

Formé à l’Académie du film de Prague (FAMU) où il se spécialise dans la prise de vue, Mohammed Lakhdar-Hamina tourne plusieurs films à Tunis avec le cinéaste Djamel Eddine Chanderli. En 2014, son dernier film, « Le crépuscule des ombres » représente l’Algérie dans la course aux nominations aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. Un bel épilogue pour ce cinéaste en or !

Laura Lépine 

We are from there

Syrie : deux frères en exil 

Avec « We are from there», le réalisateur libano-syrien Wissam Tanios signe un documentaire poignant sur l’exil de deux frères syriens. Pendant cinq ans, le jeune cinéaste a suivi le parcours de Milad et Jamil Khawam, ses cousins germains. Un récit intimiste et lumineux sur la quête d’identité et de liberté.

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Dans l’atelier familiale de menuiserie, Milad et Jamil se retrouvent souvent pour jouer. Les deux frères embarquent souvent leur cousin, Wissam, dans leurs aventures de gamins. Nous sommes au début des années 90 à Damas. Chez les Khawam, on se prend à rêver au milieu des boiseries : Milad s’imagine en trompettiste tandis que son frère Jamil se passionne pour la menuiserie, un art que la famille maîtrise depuis plusieurs générations. Des moments d’insouciance immortalisés par leur oncle, caméra VHS à la main. Mais lorsque la guerre éclate en Syrie quelques années plus tard, les espoirs des deux frangins viennent se heurter à la dure réalité. Milad et Jamil décident de quitter leur pays à la recherche d’une vie meilleure. Au péril de leur vie, et comme des milliers de compatriotes, les deux Damascènes s’embarquent dans un long périple pour rejoindre l’Europe à bord de bateaux de fortune depuis la Turquie.

« Filmer, comme un mécanisme d’autodéfense »

C’est cette quête de liberté que leur cousin Wissam, décide de porter à l’écran dans son documentaire « We are from there ». Mêlant images d’archives personnelles et séquences vidéo contemporaines, Wissam, devenu cinéaste, retrace le parcours de ses cousins. Filmer pour témoigner de cette réalité des milliers de réfugiés syriens, mais aussi pour mieux accepter le départ brutal de Milad et Jamil imposé par la guerre : En 2015, l’annonce de leur projet va provoquer un choc pour Wissam Tanios : « J’ai reçu une véritable gifle. J’ai agi par pur instinct. Filmer leur histoire était pour moi un mécanisme d’autodéfense », confie le réalisateur libano-syrien. Acteurs de leur destin, les deux frères vont eux-mêmes se filmer durant leurs périples respectifs. Face à la caméra, Milad, le musicien et Jamil, le menuisier se livrent sans concession sur leur soif de vie et leurs espoirs. Durant cinq ans, Wissam Tanios a suivi les pérégrinations de Milad et Jamil qui les conduiront respectivement jusqu’à la Suède et l’Allemagne.

Après l’exil, « Recommencer à zéro »

Un portrait aussi puissant qu’émouvant sur la réalité de l’exil, sans jamais tomber dans le larmoyant. « We are from there » raconte le déracinement des deux jeunes hommes, mais aussi le passage à l’âge adulte : « Je ne voulais pas faire un film uniquement sur l’immigration. Je voulais vraiment m’intéresser à la jeunesse et en particulier à la procédure de métamorphose. » Avec l’envie pour le réalisateur de toucher à l’universel de son histoire familiale : « J’ai souhaité montrer que ce sont deux individus ordinaires, l’un rationnel et l’autre plus mû par l’émotion, auxquels il est aisé de s’identifier […] We Are From There pose la question de savoir ce que cela signifie de recommencer à zéro. Cela peut tous nous concerner ». Récompensé du Prix du meilleur documentaire au Festival du film libanais indépendant (LIFF) pour son court-métrage « Aftermath » (2012), Wissam Tanios confirme l’étendue de son talent avec
« We are from there ».  Comme le dit le proverbe africain : « Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens ». En faisant sienne cette devise, le trio Wissam-Milad-Jamil a réalisé ses rêves de gosses, nous offrant au passage un bijou de film.

Laura Lépine 

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